Si vous suivez ce blog, vous savez que je suis installé à Tahiti depuis 5 ans.
Parmi les nombreuses questions que je reçois, il y’a celle que j’appelle la « question survivaliste » : en résumé, ça dit « je pense que la France va s’écrouler, est-ce que c’est une bonne idée de venir vivre à Tahiti pour se protéger? ».
Au risque de vous surprendre, je trouve cette question pertinente. Voila pourquoi.
Il y’a des tas de gens qui rêvent de venir vivre à Tahiti pour de mauvaises raisons : ils ne ne se rendent pas compte que c’est TRES difficile : c’est TRES cher, TRES loin, TRES petit et il y’a un vrai fossé culturel à surmonter pour réussir à s’intégrer. Ici le réseau compte énormément et s’insérer prend du temps, surtout quand on est un « popaa » (un blanc) un peu trop pressé qui débarque avec ses certitudes, sur la religion par exemple.
Pour quelqu’un qui rêve de fuir la « rat race » ou qui a été traumatisé par les confinements anti-covid en France, il y’a des tas d’options plus accessibles que Tahiti comme la Réunion ou la Nouvelle-Calédonie qui sont plus alignés sur les standards occidentaux et offrent de meilleures perspectives d’intégration.
Mais pour quelqu’un qui a un objectif survivaliste, Tahiti offre effectivement des atouts intéressants, mais également quelques handicaps à considérer. Revue de détails.
Une île isolée loin des grandes routes maritimes
Le principal atout de Tahiti, en tant que « paradis survivaliste », c’est évidemment son caractère insulaire.
Une île est facile à défendre, on contrôle facilement ce qui rentre.
Une étude intéressante a d’ailleurs établi que la façon la plus sûre de survivre à une pandémie majeure était de vivre dans une île au climat tropical loin des grandes masses de population.
Vous avez remarqué ? : la Polynésie Française n’est même pas citée dans cette étude alors qu’elle constitue un bien meilleur choix que les Comores, les îles Salomon ou Vanuatu qui sont en sous-développement chronique.
La raison est simple : la Polynésie Française est très peu connue ce qui – de mon point de vue – est un atout. Loin des grandes routes maritimes, elle est difficilement accessible autrement que par avion ce qui rend son accès facile à contrôler et restreindre, en cas de besoin.
Venir à Tahiti coûte cher, de toute façon : comptez 1000€ pour un vol simple depuis Paris. Y vivre est également difficile car, en dehors des services, le coût de la vie est 1,5 à 2 fois supérieur à celui de la métropole.
Bref, on ne vient pas à Tahiti par hasard ! D’ailleurs les problèmes d’immigration clandestine sont inexistants ici.
Un fort potentiel de ressources alimentaires
A l’inverse de nombreuses îles de Polynésie Française qui sont plates et qui manquent de ressources hydriques, Tahiti est une île montagneuse et verdoyante. La pluviométrie y est abondante, le soleil généreux et les terres d’origine volcanique y sont très fertiles. A Tahiti, tout pousse. Le problème vient plutôt des parasites et des insectes qui sont très agressifs pour les cultures.
Le caractère montagneux de l’île de Tahiti est évidemment un atout pour défendre facilement une parcelle en cas de problème. Mais cela rend aussi son urbanisation peu aisée et le foncier y est donc très cher, d’autant plus que des problèmes chroniques d’indivision réduisent encore l’offre disponible. Mais il est relativement facile de louer des terres avec un bail emphytéotique jusqu’à 99 ans, ce qui est probablement la meilleure option.
Notons qu’il existe d’autres îles en Polynésie qui présentent la même configuration : Moorea, Raiatea ou Huahine sont également des bons choix, moins grands, moins développés mais plus accessibles que l’île de Tahiti.
Pour les plus aventureux, il existe d’autres archipels plus éloignés tels que les Marquises mais aussi l’archipel des Australes qui a l’avantage d’offrir des terres cultivables en abondance, un relief plus plat et un climat moins chaud que dans le reste de la Polynésie.
L’immense océan qui entoure Tahiti est également une source inépuisable de nourriture facilement accessible. Les thons, Mahi-Mahi et autres poissons pullulent dans cette zone qui demeure largement sous-exploitée et que les Polynésiens défendent jalousement des appétits étrangers, chinois notamment.
Une société multiculturelle accueillante
La population de Tahiti se décompose grossièrement en 70% de polynésiens, 15% d’européens et 15% d’asiatiques.
A priori, le multiculturalisme est un élément défavorable pour un lieu de vie survivaliste. En situation de crise, les identités se réaffirment brutalement et les communautés tendent à rentrer en opposition pour le contrôle des ressources.
Ce fut par exemple le cas lors de la crise des Gilets Jaunes à la Réunion (pourtant réputée assez sûre) où un célèbre chroniqueur local rapporta ainsi une multiplication des cas de casses, pillages et rackets avec « une modulation en fonction de l’ethnie ». L’article a malheureusement été supprimé.
Comme le souligne l’auteur : « Le vivre-ensemble est un vernis qui peut craquer très vite, et ne doit son existence qu’aux forces de l’ordre et à la crainte de sanctions s’il n’est pas respecté. Le jour où un état n’a plus les ressources nécessaires au maintien de l’ordre, le « vivre-ensemble » disparaît, et cela peut aller très vite. »
Ce risque existe aussi à Tahiti mais le caractère polynésien est globalement aimable et accueillant tant qu’il ne se sent pas menacé.
A l’instar des asiatiques du Sud-Est (chinois, vietnamiens, laotiens, etc.), la population polynésienne est peu criminogène : la délinquance à Tahiti est largement inférieure à ce qu’elle est en France et on s’y sent d’ailleurs beaucoup plus en sécurité. N’y cherchez pas un quelconque déterminisme social : 55% de la population polynésienne vit en dessous du seuil de pauvreté ! Aux Etats-Unis, où les statistiques ethniques sont autorisées, les polynésiens (qui vivent essentiellement à Hawaï) sont le groupe avec un des plus faibles taux de prisonniers par habitant.
En faisant l’effort de s’intégrer à la culture et à la population polynésienne, en laissant de côté certains comportements occidentaux perçus comme arrogants, il est tout à fait possible d’être pleinement accepté et de limiter le risque d’un désastreux face-à-face ethnique.
Une île sous perfusion
La plus grande fragilité de la Polynésie, c’est sa dépendance aux approvisionnement venus de l’extérieur. Car à part le tourisme et quelques micro industries telles que la perle noire ou la vanille, on ne produit pas grand-chose à Tahiti : tout – ou presque – est importé. C’est aussi une économie sous perfusion qui dépend étroitement des transferts financiers directs ou indirects (salaires des fonctionnaires) de la métropole. La dotation que verse chaque année la France à la Polynésie représente 40% de ses ressources publiques !
En théorie, l’insularité et l’isolement de Tahiti la rendent particulièrement exposée aux ruptures des circuits logistiques internationaux, pour l’approvisionnement en viande et en carburant par exemple. Toutefois, j’ai constaté que la Polynésie n’avait pas particulièrement souffert des grandes perturbations logistiques qui ont eu lieu suite aux restrictions anti-COVID et à la guerre en Ukraine.
La raison est que beaucoup de produits essentiels sont importés du grand voisin Australien qui est un « pays continent » avec un haut niveau d’autonomie. C’est par exemple le cas du gaz naturel qui n’a jamais manqué ici et dont le prix est resté raisonnable, en comparaison de la France.
Mais pour certains produits à durée de consommation courte comme les œufs, il faut prévoir des réserves suffisantes car les ruptures existent.
Conclusion : bon plan ou pas ?
Comme on a pu le voir, Tahiti a beaucoup d’atouts pour quelqu’un qui veut s’engager dans une démarche de résilience et qui recherche une destination à la fois francophone, sûre et suffisamment développée.
Il existe d’ailleurs plusieurs expérimentations de communautés autonomes intéressantes en Polynésie dont j’aurai l’occasion de parler.
En cas de crise majeure, la Polynésie souffrira probablement de son caractère insulaire loin des grandes routes maritimes mais elle dispose de nombreuses ressources naturelles et d’une population calme et résiliente, habituée à s’entraider en cas de crise.
Sa faible auto-suffisance et sa forte dépendance aux circuits logistiques internationaux sont indéniablement une fragilité qui perdure malgré les efforts des gouvernements successifs. Venir vivre à Tahiti est donc un projet qui a du sens mais qui ne se suffira pas à lui-même. D’autres mesures, à minima la mise en place d’une réserve alimentaire, seront également indispensables.
D’autres destinations insulaires sont également à considérer dans une logique de résilience : par exemple Saint-Pierre et Miquelon qui est une petite île très préservée qui bénéficie de sa proximité avec le Québec. Sa faible population (6000 hab) et son climat froid sont cependant à prendre en compte pour celui qui envisage de s’y installer à long terme.
Et vous, pensez-vous que Tahiti peut-être votre « paradis survivaliste »? Donnez moi votre avis dans les commentaires
Salut Nicolas et merci pour cet article très intéressant. J’ai vraiment apprécié la lecture. Personnellement, je n’ai jamais eu l’occasion de quitter le continent européen mais ton article m’a donné envie de m’intéresser davantage à Tahiti et ses îles environnantes qui ont l’air très préservées.